mardi 27 février 2018

                                        LA NOUVELLE 


La différence entre  le roman et la  nouvelle

Le roman
La nouvelle
récit narratif long
récit narratif court
Les personnages sont nombreux
Peu de  personnages
Beaucoup de  détaillés
peu détaillés
plusieurs événements
Un seul  événement
temps très long
temps très court
Plusieurs lieux
Un seul lieu
la  fin est laissée à l'imaginaire du lecteur
Le récit est rythmé et la chute est  rapide et inattendue.

               

la nouvelle réaliste 
Une simple question de justice

Ah, ce sandwich à 100 cruzeiros, Mario en a rêvé toute la nuit. Il aurait pu se l'acheter dans la soirée, puisqu'il avait déjà le billet en poche. Il a préféré attendre. Il s'est dit que le sandwich serait encore meilleur au matin, quand il en aurait bien salivé.
Il a gardé le précieux billet de 100 cruzeiros au fond de ses jeans et il s'est enroulé entre Didi et Joachim dans la couverture, en rongeant une tige à moitié pourrie de canne à sucre.
Il ne fait pas chaud, ces dernières nuits, à Rio de Janeiro. Mais en se couvrant de vieux cartons et en se serrant bien les uns contre les autres, ça peut aller. Et puis, ce qui réchauffe le cœur de Mario, c'est l'idée du gros sandwich à 100 cruzeiros ; [...] le vrai sandwich brésilien, avec du thon, des œufs, de la salade, moelleux, fondant dans la bouche et qui remplit bien l'estomac. Hum ! Mario est au paradis.
Hélas, à Rio de Janeiro, le paradis des enfants n'a sa place qu'en rêve. À peine le soleil levé, bing ! bang ! de grands coups de souliers cloutés viennent sortir leur petite bande du sommeil. [...]
Encore bouffis de sommeil, ils sont bousculés, traînés contre le mur et fouillés comme des criminels. [...]
Deux ou trois derniers coups de matraque et la voiture des policiers reprend sa ronde. [...]
Malgré les coups de pied qui lui brûlent les côtes, Mario siffle Berimbau. Il en a vu d'autres. Et puis ce matin, il va se payer un festin : un vrai sandwich à 100 cruzeiros pour lui tout seul. [...]
Dans la rue Saô Carlos, le marchand est bien là, fidèle au poste, avec ses sandwichs à la place d'honneur sur l'étalage. Mario glisse la main dans sa poche, un sourire sur les lèvres. Ses doigts tournent, grattent. Panique ! Il retourne la poche, cherche dans celle de gauche, revient en courant là où il a dormi, soulève les cartons, déplie la couverture. Rien !
C'est alors qu'il se revoit les bras levés, contre le mur, tandis que le flic vérifie qu'il ne porte pas d'armes. Le salaud ! Il lui a piqué son billet.
Mario ne pleure pas. Il y a longtemps qu'il ne sait plus pleurer. Il se met à marcher au hasard, en gueulant des injures à tue-tête. Mais, sans qu'il s'en rende compte, ses pas le ramènent devant la boutique du marchand de sandwichs.
Quand il voit la devanture avec l'étiquette marquée « 100 cruzeiros », il pique une rage folle. À coups de pied, il tape comme un fou dans une grosse poubelle métallique.
- Hé là ! proteste le marchand, un gros bonhomme au genre « beignet a la graisse ». Tu veux que j'appelle les flics ?
Le mot qu'il ne fallait pas dire !
- Dégage! hurle Mario.
Il a ramassé un bout de bois et frappe de toutes ses forces sur le couvercle.
- Attends un peu, la vermine, on va s'occuper de toi !
Le marchand traverse la rue :
- Renato, viens m'aider !
Soudain, Mario se calme. Le festin est là, à portée de main, sans surveillance.
Tout se passe très vite. Mario saute sur le premier sandwich et s'enfuit à fond de train dans les ruelles.
- Renato ! hurle le bonhomme. Dépêche-toi !
Mario est déjà loin. Il court, il court d'une rue à l'autre, à toutes jambes, sans s'arrêter.
Près de la cathédrale, il s'assied enfin sur un banc. Et après la rage lui revient le sourire. Il a tout de même fini par l'avoir, son sandwich à 100 cruzeiros
Pas encore !
- Là ! crie une voix.- Sur le banc !
Alors, Mario se remet à courir, laissant une feuille de salade sur le banc et deux rondelles d’œuf qui s'écrasent sous ses pieds. Il en rattrape au vol une troisième qu'il avale dans la foulée. C'est toujours ça de pris ! Et puis il court, il court.
- Il m'a piqué mon portefeuille, crie le marchand afin de rameuter du monde.
Aussitôt, deux autres gars se joignent à lui et la chasse au gamin s'organise
- Vous, par là ! Moi, je coupe par la cathédrale.
Mario échappe de justesse à une main qui cherche à le saisir, mais de grosses miettes de thon dégringolent, perdues à jamais.
Bientôt, songe-t-il avec colère, il ne me restera plus que les tranches de pain.
Il se glisse entre les voitures qui freinent dans un concert de klaxons. L'une d'elles lui érafle le genou. Il boite un peu mais continue de courir. Un gosse des rues ne s'arrête pas pour si peu ! Avec Didi et Joachim, il a déjà piqué plus d'un cent mètres pour échapper aux flics ou aux vigiles. Mais cette fois, il va falloir jouer serré.
Sa seule chance, c'est le port et les entrepôts désaffectés. Il y connaît des planques où ils ne le trouveront pas. Il fonce.
Sa bouche écume. Sa gorge brûle. Ses cuisses sont dures comme du bois. Il ne ralentit pas son allure, zigzaguant encore et toujours entre les voitures pour gagner du terrain sur ses poursuivants. Il a même un sourire, songeant à Ronaldo, son avant préféré, crochetant ses adversaires pour aller marquer le but.
Mario a l'énergie de ceux qui se savent innocents. [ ... ]
Voilà les entrepôts ! là, tout près ! Mais des types en sortent qui le regardent courir. Leurs beaux habits ne disent rien qui vaille à Mario. S'il passe devant eux, ils sont bien fichus de le cravater au passage. Personne n'aime la « vermine » à Rio !
Il jette un coup d’œil en arrière. Ils sont cinq maintenant à lui filer le train. La chasse au gosse attire les sportifs !
Des types devant, des types derrière, Mario se sent coincé, comme un rat pris au piège. Non ! ils ne l'auront pas quand même ! Il vient d'avoir une idée.
Il bifurque vers la jetée et fonce tout droit. L'eau dégueulasse du port, c'est bien le seul endroit où ils ne le suivront pas. Ils auront trop peur de mouiller et salir leurs vêtements. Ensuite, il n'aura plus qu'à nager jusqu'à l'autre bord, en priant Dieu pour qu'ils laissent tomber.
Il évite de justesse un pêcheur qui croit malin de s'interposer et se jette à la flotte, comme un gardien de but qui cherche à stopper un penalty.
Une sirène a retenti. Mario ne l'a pas entendue. Mario n'a rien vu. Le bateau à moteur passe devant le débarcadère, quelques secondes à peine après son plongeon.
Lorsque ses poursuivants arrivent au bout de la jetée, ils ne trouvent pas trace du jeune garçon. juste quelques bulles dans le sillage du bateau et un sandwich qui flotte entre les nappes de mazout. Un beau sandwich à 100 cruzeiros.
- Restons pas là ! dit le marchand. Les flics risquent de nous casser les pieds avec leur rapport. Et ce sale gamin nous a assez fait perdre de temps comme ça.
- Il vous avait pris beaucoup ? demande un des gars.
- C'est pas pour les 100 cruzeiros ! répond le marchand. C'est simplement une question de justice.
Les types acquiescent de la tête en retournant vers la ville : 
« Oui, c'est bien ça, une simple question de justice ! »

Michel PiquemalLes Orphelins d’Amérique  coll. « Les Uns et les Autres »    Éd. Syros Jeunesse 1998





Nouvelles policières

                                                       Erreur fatale
     M. Walter Baxter était un grand lecteur de romans policiers depuis de longues années. Le jour où il décida d'assassiner son oncle, il savait donc qu'il ne devrait pas commettre le moindre impair.
    Il savait aussi que pour éviter toute possibilité d'erreur, le mot d'ordre devait être « simplicité ». Une rigoureuse simplicité. Pas d'alibi préparé à l'avance et qui risque toujours de ne pas tenir. Pas de mode opératoire compliqué. Pas de fausses pistes manigancées.
     Si, quand même, une fausse piste, mais petite. Toute simple. Il faudrait qu'il cambriole la maison de son oncle, et qu'il emporte tout l'argent liquide qu'il y trouverait, de telle manière que le meurtre apparaisse comme un cambriolage ayant mal tourné. Sans cela, unique héritier de son oncle, il se désignerait trop comme suspect numéro un.
   Il prit tout son temps pour faire l'emplette d'une pince-monseigneur dans des conditions rendant impossible l'identification de l'acquéreur. La pince-monseigneur lui servirait à la fois d'outil et d'arme.
     Il mit soigneusement au point les moindres détails, car il savait que la moindre erreur lui serait funeste et il était certain de n'en commettre aucune. Avec grand soin, il fixa la nuit et l'heure de l'opération.
     La pince-monseigneur ouvrit la fenêtre sans difficulté et sans bruit. Il entra dans le salon. La porte donnant sur la chambre à coucher était grande ouverte, mais comme aucun bruit n'en venait, il décida d'en finir avec la partie cambriolage de l'opération.
     Il savait où son oncle gardait son argent liquide, mais il tenait à donner l'impression que le cambrioleur l'avait longuement cherché. Le beau clair de lune lui permettait de bien voir à l'intérieur de la maison; il travailla sans bruit…
     Deux heures plus tard, une fois rentré chez lui, il se déshabilla vite et se mit au lit. La police n'avait aucune possibilité d'être alertée avant le lendemain, mais il était prêt à recevoir les policiers si par hasard ils se présentaient avant. Il s'était débarrassé de l'argent et de la pince-monseigneur. Certes, cela lui avait fait mal au coeur de détruire quelques centaines de dollars en billets de banque, mais il s'agissait là d'une mesure de sécurité indispensable -et quelques centaines de dollars étaient peu de chose, à côté des cinquante mille dollars au moins qu'allait représenter l'héritage.
       On frappa à la porte. Déjà ? Il se força au calme, alla ouvrir. Le shérif et son adjoint entrèrent en le bousculant:
« Walter Baxter ? Voici le mandat d'amener. Habillez-vous et suivez-nous.
- Vous m'arrêtez ? Mais pourquoi ?
-Vol avec effraction. Votre oncle vous a vu et reconnu; il est resté sans faire de bruit à la porte de sa chambre à coucher; dès que vous êtes parti il est venu au poste et a fait sa déposition sous serment. »
     La mâchoire de Walter Baxter s'affaissa. Il avait, malgré tout, commis une erreur. Il avait, certes, conçu le meurtre parfait, mais le cambriolage l'avait tellement obnubilé qu'il avait oublié de le commettre.
                                                            Erreur fatale, Fredric Brown, 1963.




   La nouvelle fantastique  

             L’omelette de  José Vicente Ortuño



Par cette matinée de printemps où le soleil brillait dans un ciel bleu et où les colombes bombardaient les bâtiments de leurs déjections avec une précision redoutable, qui aurait pensé qu'une terrible menace se profilait pour l'humanité ? Rien ne laissait prévoir qu'un malheur, une imminente catastrophe, une indicible horreur allait faire de cette journée un cauchemar.
   C'est par cette belle matinée que Juan s'éveilla. Rien ne pressait. C'était jour férié. Il resta quelques heures dans son lit à paresser. Puis la faim le décida à se lever. Il alla préparer son petit déjeuner.
   Il entra dans la cuisine en chantonnant, esquissa quelques pas de danse maladroits au son deThriller, de Michael Jackson, qu'il sifflait faux. En même temps, il disposait tout ce dont il avait besoin pour déjeuner.
   Il plaça une poêle contenant de l'huile sur la plaque de vitrocéramique qu'il alluma. Pendant qu'elle chauffait, Juan, avec une précision de chirurgien, cassa deux œufs, les battit, ajouta une pincée de sel et versa le tout dans la poêle. La masse commença à croître. Juan la répartit sur toute la surface du récipient.
   La masse continuait à croître. Juan tapa dessus avec une cuillère.
   La masse continuait à croître.  Intrigué, il vit l'omelette déborder de la poêle. Il éteignit la plaque. La masse continuait à croître.
   Il essaya de l'arrêter en tapant dessus. Mais elle avait désormais sa vie propre. Elle bougeait, palpitait, rampait dans sa direction, croissait irrésistiblement. Les coups restaient sans effet.
   Il recula, horrifié, tremblant, livide, devant l'horreur qui se formait sous ses yeux.  L'Omelette palpitait, augmentait de volume, émettait un gargouillis sinistre. Elle se répandit à travers la cuisine jusqu'au frigo où elle s'arrêta. Elle mesurait maintenant un mètre de diamètre et semblait ne plus évoluer. De son centre commença à s'élever une protubérance qui, ensuite, se dédoubla. Puis les grosseurs s'ouvrirent et firent apparaître deux yeux énormes et méchants qui, après avoir jeté un regard circulaire, se fixèrent sur Juan.
   Il décida que le moment était venu de prendre la fuite. Mais l'Omelette lui sauta dessus. Juan essaya de se dégager en tournant sur lui lui-même et se cognant contre les murs. En vain. La masse lui couvrait vicieusement la tête, et elle continua à bouger jusqu'à ce qu'elle l'ait complètement enveloppé. Juan et l'Omelette tombèrent sur le sol. Durant quelques minutes interminables, angoissantes, il se convulsa, puis il cessa de bouger.
   L'Omelette resta sur le corps immobile et continua de se développer en assimilant les sucs et les tissus de Juan. Quelques minutes plus tard, une Omelette de 80 kilos laissa derrière elle un tas de vêtements et d'os nettoyés. Elle avait désormais pris conscience d'elle-même. Elle s'aperçut qu'elle avait très faim et, étirant une partie d'elle-même pour former un tentacule, elle se mit à la recherche d'autres substances nutritives. Il lui fallait trouver de quoi répondre à ses attentes. Elle se dirigea vers la porte de la cuisine. Elle sortit dans le couloir et se déroula en ondulant jusqu'à l'endroit où ses sens lui indiquaient la présence de nourriture. Aussitôt, 50 kilos de chair canine se précipitèrent sur elle en aboyant. C'était Rusky, la mascotte de Juan. L'Omelette était dépourvue d'organe de l'ouïe, et, par conséquent, peu lui importaient les efforts fébriles déployés par l'animal pour lui faire peur ; ce qui l'embêtait, c'était de savoir qu'elle risquait de laisser sous ses crocs une partie d'elle-même. Mais elle ne s'inquiéta pas vraiment, parce qu'en fait elle n'en avait guère la possibilité. Elle enveloppa le chien et le dévora. Quelques minutes plus tard, elle poursuivit son chemin, laissant derrière elle un collier portant une plaque sur laquelle était gravé le mot Rusky.
   Cent trente kilos d'Omelette parvinrent à la porte de la maison. Ils furent traversés par cette pensée élémentaire : « Porte » suivie d'une autre, un peu plus compliquée : « Ouvrir ». La masse projeta un tentacule, ouvrit la porte et sortit, puis elle déploya des prolongements en forme de vrilles qu'elle agita dans l'air. Son odorat lui fournit deux indications : le monde était très grand et il était plein de choses à manger. Dans un état d'âme apparenté à la félicité, l'Omelette se déroula le long de l'escalier. Quand elle sortit dans la rue, elle avait dévoré six voisins, deux chiens, un chat, le canari de la vieille dame du deuxième – la vieille dame était un peu racornie, et elle l'avait laissée de côté – un vendeur d'assurances à domicile ainsi que le facteur. Maintenant, elle pesait 580 kilos, elle avait des idées assez claires et puis elle disposait d'un projet pour l'avenir : dévorer toutes ces créatures délicieuses, tous les êtres à deux pattes qu'il y avait dans le monde, après quoi elle penserait à autre chose.


FIN